La culture de « la lose » : un mal bien français

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Excusez-moi si je ne pense pas y arriver, j’habite en France…

Aujourd’hui, je souhaite m’éloigner un peu du thème du storytelling (quoique). Je vous demanderais donc de bien vouloir mettre ce billet sur le compte du vendredi 13 et de le considérer comme un Alien. Mais c’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de soupirer.
Sur quoi me direz-vous ? Simplement, et une fois de plus, sur le fait d’entendre un discours qui n’y croit pas.

Petite analyse…
Il s’agit d’un très court passage de la conférence de presse du ministre français du Redressement productif. Mais lui ou un autre, c’est pareil, la culture française du perdant étant la mieux partagée dans ce pays.

Depuis un bail, l’esprit latin plombe effectivement notre développement, se situant à l’exact opposé de l’état d’esprit anglo-saxon positif (pléonasme). Malheureusement, cela se ressent dans la communication, ou plutôt dans la manière de communiquer. C’est culturel.

Comment se traduit-elle ?

Pour vous montrer comment se traduit cette culture de la lose, je vais ici détailler la source de mon cent millième énervement, lequel repose sur deux phrases extraites du discours en question, entendu dans un reportage de Soir 3 du 12 septembre 2013 sur la conférence de presse de ce ministre. À visionner ici en replay (début du sujet à 9’10 »).

Je cite l’intervention (qui démarre à 10’42 ») :
« Ces 34 plans, ce sont 34 branle-bas de combats nationaux, 34 courses contre la montre, 34 actes de foi et de fierté. Bien sûr, heu, nous ne sommes pas certains que ces 34 plans industriels seront à coup sûr 34 tirs au but ; mais si nous pouvons en marquer 20 à 25, dans les cinq à dix ans, nous savons et nous saurons déjà que la France sera relevée. » (sic).

Rien ne vous choque ?

Ce n’est évidemment pas la figure de style qui consiste à marteler son discours d’un chiffre miraculeux (encore heureux qu’il n’y en eut pas 33)… Bravo en passant au spin doctor, au moins pour la première phrase.

Ce n’est pas non plus le fait d’utiliser des termes à connotation guerrière, religieuse ou sportive. En plus, sur le fond, ça partait plutôt bien, hormis le ton de conviction de l’orateur, proche de celui d’un Droopy shooté au maïs MGM (pardon, OGM).
Or, c’est
bien là le cœur du problème et de mon sujet du jour : la forme et la présentation, et ce, quelle que soit la valeur du fond.

À 10 minutes et 53 secondes, soudain, patatras ! Retournement de situation : on n’ose pas croire ce que l’on entend.

34 objectifs, MAIS… « bien sûr nous ne sommes pas certains que ces 34 plans industriels seront à coup sûr 34 tirs au but » (…) « si nous pouvons en marquer 20 à 25… »

Comment se tirer une balle dans le pied en deux secondes. L’esprit de winner, de la gagne, n’est décidément pas de ce côté de l’Atlantique. Ah ! ben non Messieurs Dames, on lance 34 plans (jusque-là très bien), mais bon, on va essayer d’en développer au moins 20 ce sera déjà pas mal… Sympa pour la dizaine de secteurs qui risqueront donc de rester sur le carreau. Ça donne vraiment envie de se lever le matin !

Pourquoi dans ce cas parler de 34 plans et ne pas simplement commencer par 20 sûrs et certains ? 

D’ailleurs, entre nous, certains thèmes auraient pu être regroupés sous un seul plan, ce qui aurait diminué ce chiffre de 34, certes ambitieux, mais qui peut faire sourire ou effrayer. La quantité et la qualité sont parfois deux choses différentes.

En termes de communication, si 5 grands plans (voire 10) avaient été annoncés, cela aurait paru plus « léger » aux oreilles de nos concitoyens. Quitte ensuite à décliner chaque plan en sous-catégories. Et croyez-moi, psychologiquement, l’effet peut être différent : car entre atteindre 5 objectifs et en atteindre 34, l’horizon n’a pas le même poids. Le choix des mots, comme toujours…

Sur le plan de la com (du message), rien, ni jugeote, ni psychologie. Les mots ne sortent pas des tripes et l’attitude dessert l’ambition du plan. Ce doit être une nature locale : absence de dynamique, ambition rentrée, frilosité, absence de confiance en soi.

Le problème en termes de communication, c’est que cela ne fait pas rêver du tout. Et on a beau essayer, même en étant aidé, le résultat est ridicule parce que tout d’un coup, on va en faire trop et cela sonne faux.

Pourquoi ce n’est pas naturel ? Parce que l’orateur ne croit pas à ce qu’il dit.

Ce discours me rappelle fortement les matches de foot perdus, commentés par les équipes françaises : « Ben, comment dire, on a perdu parce qu’on devait perdre, c’est comme ça. On a perdu 1 à 2 c’est déjà bien, on aurait pu perdre 1 à 3… On a fait de notre mieux. » Eh bien non, patate, si vous aviez fait de votre mieux, vous auriez gagné !

Vous captez ce raisonnement positif/négatif ? C’est vraiment un état d’esprit que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en dehors de l’hexagone. C’est juste incroyable et de moins en moins adapté à la mondialisation.

Et je pourrais aussi bien parler de la forme de ce reportage du « grand » Soir 3, où les journalistes se sont contentés d’ajouter quelques images issues de la vidéo du ministère, survolant l’histoire industrielle de la France.

Cette vidéo complète visible ici est un storytelling des plus classiques, osant des raccourcis assez incroyables, voire improbables, passant notamment de la guerre 39-45 à la faillite de Lehman Brothers… Pas de guerre d’Algérie ni d’Indochine ? Bah non, ça ferait tache. Pas de Mai 68 ? Idem.

Parmi leurs exemples :
– Le Concorde ? On sait comment il a terminé…

– Le Minitel ? Très sympa, mais rattrapé par Internet…
– La carte à puce ? Dans cet article de Slate, on peut lire un paragraphe qui résume tout : « Pourtant, la France n’a pas su profiter pleinement de cette avance sur le plan industriel. Le fabricant de cartes à puce Gemplus, créé en 1988, a été racheté par le Néerlandais Axalto en 2006 qui l’a rebaptisé Gemalto, et Schlumberger a abandonné le secteur.« 

com à la papaEt puis, c’est bien gentil de rappeler le passé, mais ce qui nous intéresse c’est l’avenir, là tout de suite. Or, une musique classique (je n’ai rien contre Vivaldi) rappelle encore trop une forme de com « à la papa ». Comme si nous étions au siècle dernier !

Pour montrer de la modernité et faire adhérer les générations les plus jeunes, n’aurait-il pas fallu un son plus « punchy » ? Peut-être pas du rock mais une musique électronique entraînante (nous avons de bons créateurs en France à ce niveau). Et ne parlons pas du texte, à peu près à côté de la plaque.

Bref, la com à la française a du mal à passer, tout simplement parce que sur le fond, ces « messagers » ne semblent pas convaincus eux-mêmes (ils ne le montrent pas en tout cas) et par ailleurs parce que la forme transpire de ringardise. C’est mou tout ça (loose cette fois-ci).

Sans compter que pour leur arracher un sourire, il faut se lever de bon matin. Le hic se situe aussi à ce niveau : des politiciens dont l’image et le comportement sont extrêmement éloignés du dynamisme des vrais entrepreneurs !

Même la fiction fait mieux…

Dans Borgen, Kasper Juul, le spin doctor de l’héroïne – ministre du Danemark – est invité à rédiger un discours marquant. À plusieurs reprises, sa chef (ou patronne, comme vous voulez), c’est-à-dire le personnage de Birgitte Nyborg, parle finalement avec son cœur. Elle convainc son auditoire parce qu’elle parle avec ses tripes. Et pourquoi y arrive-t-elle ? Parce qu’elle croit à ce qu’elle dit

Notons la qualité de jeu de la comédienne qui fait que le spectateur peut se mettre à croire ce qu’elle énonce concernant son pays. Bref, un élan porté par un leader dont on rêverait ici, mais restez calmes, ceci n’est que pure fiction.

Petite leçon par un leader un peu connu

À titre de comparaison, voici un exemple de discours (speech) où les mots, le ton, l’enthousiasme et l’amour que l’on sent chez cet orateur pour son pays, conduisent tout droit à l’adhésion. Remarquons au passage qu’il utilise sa propre histoire (storytelling).

Les analystes expliquent ici que c’est ce discours qui a sans doute déterminé sa victoire. C’est sûr, on n’arrive pas à la cheville. « Rassurez-vous », ce n’est pas prêt d’arriver.

Vidéo en anglais :

Conclusion

Au-delà de ce manque d’audace dans la forme et la présentation, le fond du problème reste qu’en France, si on a des idées, on ne sait pas les exploiter. Et quand on y arrive, on ne sait pas se vendre !

Tout est là : l’exploitation intelligente de nos formidables savoir-faire, freinés encore par des « prouvez-moi que ça marche et je te financerai ensuite » (banques), par des « je ne partage pas » se traduisant par une absence de transversalité, chacun son pré-carré et les moutons seront bien gardés (très français), par des réunionites sans fin, des comptes rendus et autres dialectiques intellectuelles (enfin, intellectuelles…) sur la chose réalisable « mais on verra dans dix ans » ou comment perdre du temps en confondant le dire et le faire. Ou encore, l’absence de communication de qualité : on ne sait pas dire, donc on ne peut pas séduire.

Bref, espérons sincèrement que la nouvelle génération va pousser au changement d’attitude. Car le gap avec les politiques cités plus haut est devenu une galaxie : imaginez d’un côté les nourris à Rintintin (attention, je n’ai rien contre les chiens hein), de l’autre les nourris à Facebook et entre les deux, les nourris à Super Mario ou Goldorak. La fusion sera-t-elle fukushimiesque ?

Pourtant, on pourrait avoir de l’espoir. Et vous savez pourquoi ? Parce que tous, tous, sans distinction… on aime les histoires, surtout celles qui finissent bien. Je sais, c’est une pirouette un peu mince pour évoquer le storytelling.

Il n’empêche que c’est la réalité ! Nous avons aussi besoin de vrais leaders, à la fois empathiques, cultivés, curieux et passionnés, qui non seulement savent de quoi ils parlent, mais qui en sont convaincus.

Le seul hic, et vous l’avez compris depuis le titre de ce billet, est qu’en France, une bonne part de notre « négativité » réside dans la façon de penser, de dire les choses, de les gérer… et du fait qu’ON NE SAIT PAS SE VENDRE ! Vous avez dit productif ?

On communique toujours très mal. Question d’ambition, de conviction ET de communication. Enfin question surtout de culture. Et si on déplaçait le curseur et que l’on y croyait davantage ?

 

Une réflexion sur “La culture de « la lose » : un mal bien français

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