Émoticônes, une nouvelle écriture ?

smiling-face-with-sunglassesAlors que je prépare cet article, je vois passer ce jour un billet de L’Usine Digitale sur le même thème, avec en titre une question radicale :
« Les émoticones seront-ils les fossoyeurs du langage ? »

Une langue écrite supplémentaire et universelle

Langage, alphabet, code : où se situent les émoticônes ?

Pour échanger, communiquer et se comprendre, on a besoin d’un code commun, un « langage ».

L’écriture est l’expression écrite du langage. Chaque langue a besoin d’un alphabet qui permet de créer des mots pour composer des phrases et DIRE.

L’expression écrite est faite d’autant de signes qui symbolisent une idée, un concept, une humeur, une action, un objet ou le vivant (humains, animaux, végétaux, minéraux…).

Nous sommes ici dans du visuel. Tout est visuel : les langues écrites, les mots, sont une juxtaposition de signes, de lettres, qui forment ensemble une signification (dont on aura appris le code au préalable). Mais tout signe est d’abord visuel !

Concernant les émoticônes, ils (oui, il paraît que c’est masculin) sont les éléments d’une « nouvelle » forme d’écriture à n’en pas douter.

Anecdote : pour permettre d’apprendre le chinois plus facilement, une Londonienne développe depuis 2014 une méthode d’apprentissage du chinois en détournant les signes, les mettant en couleur pour faire apparaître le dessin du mot qu’il symbolise ! Du coup, ils ressemblent de plus en plus à des émoticônes. Voir ici.
Effet de mémorisation garanti.

Émoticônes, emojis, smileys : définitions, différences

Rappelons que les termes émoticône et émoji sont rentrés dans les dictionnaires Le Robert et Larousse en 2016 pour l’édition 2017.

Comment y perdre son latin :

Le dictionnaire Le Robert écrit « émoticones » au masculin, sans accent circonflexe mais lorsque vous le tapez dans Word ou dans un article de blog, il est souligné pour montrer une erreur, alors qu’en tapant émoticône avec accent circonflexe sur le o, il n’est plus souligné…

Le dictionnaire Larousse  l’écrit carrément « émoticon » (sans e final) et le met également au masculin (en tout cas dans le Larousse en ligne). Le terme étant issu effectivement de l’anglais emotion et icon, c’est logique.

Néanmoins, si l’on se réfère à la contraction des termes en français, émotion et icône, nous devrions garder les accents…

Dans cet article de 20 minutes, il est écrit : « une émoticône » entre dans le Larousse (avec un e et au féminin donc).. Il faudrait savoir !!

facepalm.5ad0a080614.originalSur Internet, on le voit écrit à toutes les sauces. Certaines définitions le mettent au féminin (L’internaute, Wikipédia, Reverso…).
De quoi en perdre son latin !
En ce qui me concerne, je trouve plus logique de mettre effectivement émoticône au féminin et avec un accent, à la française.

On le voit d’ailleurs passer plus souvent au féminin chez les internautes, sauf quand des médias, dans le doute, ont vérifié dans les dictionnaires classiques (Robert ou Larousse) auquel cas, il est utilisé au masculin.

Et émoji alors ? En fait, emoji (sans accent) est le terme japonais pour émoticône.
Donc lorsque le magazine Slate.fr titrait en 2011
« les émojis vont-ils remplacer les émoticones ?« , cela n’a aucun sen puisque c’est exactement la même chose ! Tous ces pictos font partie d’un même code et du même principe : celui de communiquer avec des dessins. Par conséquent, il ne peut y avoir de notion de remplacement…

C’est plutôt une famille d’icônes qui s’étoffe. D’ailleurs, il m’est d’avis qu’un jour on ne parlera plus que d’émojis dans son ensemble (incluant des émoticônes et des smileys par principe). Vous suivez ?
Comme c’est la même chose, on en arrive même à des titres ubuesques.

Certains dictionnaires français le proposent à la japonaise, sans accent. Attention, si l’on garde le mot étranger, normalement (enfin, pour les puristes), on devrait l’écrire alors en italique…

Quant aux smileys – les premiers pictos apparus a priori dans les années 60 – se cantonnent davantage à une humeur. Le terme « smiley » a gardé sa forme anglaise bien que certains proposent frimousse (Académie française) ou encore binette, voire trombinette… Quoi qu’il en soit, il est au masculin.

Bref, je dirais qu’au final, ce qui compte est de choisir le bon dessin pour être compris !

Émoticônes ou émojis : un code est né

L’arrivée des émoticônes – dont le premier du genre n’est pas le célèbre smiley jaune comme on pourrait le croire, mais celui-ci – a changé la façon d’échanger.

Au départ conçues pour ajouter un ton au SMS, ces images sont devenues absolument incontournables jusqu’à remplacer une phrase. Ce n’est pas non plus un rébus (qui renvoie à des syllabes). Il y a une véritable expression visuelle qui fait ressortir une signification. Nous sommes bien en présence d’un langage, donc d’un code (ou inversement d’un code, donc d’un langage).

Le 17 juillet dernier, se déroulait la journée mondiale des émojis (bah, oui, je l’écris à la française), avec sur Twitter, ce hashtag #WorldEmojiDay. Le Ballet de l’Opéra de Paris proposait d’ailleurs humoristiquement d’écrire le titre de son ballet favori en émojis. Comme le mien est Madame Butterfly, je ne me suis pas fait prier pour taper un kimono et un papillon.

tweetDes conversations peuvent aujourd’hui se construire à partir d’un tas d’émoticônes. Leur nombre ne cesse de croître. Google vient d’ailleurs d’ajouter des emojis qui soulignent l’égalité des genres.

On trouve même différentes applications pour créer l’émoji de sa propre personne. Bref, les émojis personnalisées ont le vent en poupe.

Oui, ces images (émojis, émoticônes ou smileys) sont les signes d’un langage à part entière. Il s’agit bien d’une forme d’écriture.

Aujourd’hui, on peut quasiment créer un storytelling entièrement élaboré à base de ces pictos. Des histoires courtes peuvent parfaitement se dessiner : du « sans parole », du « sans mots », mais avec une signification suffisante pour obtenir un récit scénarisé.

En même temps, les peintures rupestres sur les murs des grottes, de Lascaux ou d’ailleurs, ne montrent pas autre chose…

Par ailleurs, le business n’étant jamais loin, en embuscade, les marques créent leur propre code avec des émojis directement liés à leur identité. Un vocabulaire visuel à considérer dans l’univers marketing et dont la tendance va s’amplifier.
Voir l’ÉmotiKarl... l’application de Lagerfeld et ses pictos caractéristiques ! Ou encore les émojis d’Ellen Degeneres.

Ce langage détrônera-t-il les autres langues ?

Cela paraît difficile à imaginer. D’abord, les étudiants écrivent encore au stylo (essayez de dessiner une phrase avec des émoticônes, en couleur de surcroît, vous allez mettre au moins une heure).

Ces signes sont uniquement faits pour être tapés, cliqués, ajoutés via un support digital. Et, évidemment, il ne peuvent absolument pas être oraux.
Bien qu’en matière de langage oral et notamment d’expression faciale, vous pouvez très bien imiter un smiley : hausser ou froncer les sourcils, tirer la langue, rougir, bailler… 😉

Les expressions de l’émotion (liée d’ailleurs au storytelling) se traduisent soit de manière vivante, sur nos visages, soit à l’écrit grâce aux smileys.

Aujourd’hui, une conversation entière est possible à partir d’émoticônes, à condition que l’on ne rentre pas dans un sujet philosophique avec des concepts abstraits. Car pour argumenter ou développer une idée, c’est extrêmement limité. On peut se heurter à un manque évident de nuances.
Autant dire que ce langage reste très très basique.

D’ailleurs, ce n’est pas vraiment une écriture, mais une juxtaposition d’images reflétant des associations d’idées. Et en plus, ce n’est pas non plus si nouveau…

   hiéroglyphes

Dans les SMS et autres chats, on traduit moins une action qu’une émotion. De plus, cela reste d’un usage plutôt personnel : on voit mal un employé d’usine envoyer un smiley « mort de rire » à son patron.

La seule crainte est de constater un appauvrissement du vocabulaire (déjà spectaculaire) chez les jeunes qui utilisent peu la richesse de leur langue maternelle, tout occupés à répondre immédiatement à un message sur leur smartphone, où les phrases ultra courtes et de moins en moins construites sont agrémentées quasiment systématiquement d’au moins un émoticône.

Même si c’est effectivement rigolo, il ne faudrait pas que nous tombions dans une régression enfantine où tout développement d’idées serait impossible. C’est sympathique pour échanger de manière ludique, rapide et sans avoir à réfléchir pour trouver ses mots (utile pour les timides qui n’osent pas s’exprimer, pour ceux qui n’en ont pas les moyens intellectuels ou tout simplement pour ceux qui ont la flemme).

« L’IMAGE NE PEUT PAS TOUT, LE TEXTE PEUT TOUT. »
Roland Barthes

On ne prend même plus la peine de dire « merci beaucoup », il suffit de taper un cœur.
Attention toutefois à l’interprétation de chaque émoticône… Tout le monde n’a pas encore appris leur signification originale ainsi que toutes les significations lorsqu’ils sont placés côte à côte. Gare aux mauvaises interprétations !

Enfin, la liste de ces visuels diffèrent selon les réseaux : les applis Facebook ou Twitter ne proposent pas les mêmes, et techniquement, il faut savoir jongler. Cerise sur le gâteau, qu’ils soient compatibles avec les versions de vos engins…

Prenons cette forme de communication universelle plutôt comme un langage complémentaire, sympathique… mais sans plus.

Avant, on disait « n’ayons pas peur des mots ».
Bientôt on dira « n’ayons pas peur des émo »…

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Anne

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