Du storytelling à pas cher ?

Sur les plateformes d’annonces pour freelances, on voit passer de tout et le plus souvent des offres de missions au budget très léger. J’aurais d’ailleurs pu titrer en bon français « du storytelling pour pas cher » ou « pas cher », mais j’ai préféré garder l’oralité du « à pas cher » pour souligner l’ironie de la situation.

Et peu importe le nom de ces plateformes, le problème est général. Le pire étant évidemment les plateformes pour étudiants où les entreprises trouvent de la main d’œuvre très rentable pour réaliser des missions ponctuelles.

Il est en effet malheureusement de plus en plus récurrent de tomber sur une annonce proposant une mission dont le budget alloué… est une somme équivalant à un dixième de la valeur de la réalisation demandée.

EXEMPLE avec justement la rédaction d’un storytelling pour une appli :

(On passera sur la syntaxe et la faute de grammaire.)

Il est certain que pour ce tarif, on ne va pas faire le tour de la question…
100 € divisés par 2 = 50 € par histoire.

Si l’on part du principe qu’un professionnel senior est au minimum à 50 euros de l’heure, il devrait donc en une heure de temps :

  • découvrir l’appli, s’en imprégner, se mettre à la place de l’utilisateur (car il s’agit ici de UX) ;
  • imaginer une histoire, avec scénario adapté à une vidéo (quelle cible ? durée de la vidéo ? volume texte ?…) ;
  • rédiger un texte puis le proposer.

Même en étant zèbre, mon cerveau ne va pas aussi vite. Surtout quand on sait pertinemment que faire court demande du temps. Et le temps n’est pas extensible.

But du contenu de leur vidéo : « Pouvoir comprendre un concept au travers de l’expérience utilisateur. » En fait on se dit qu’il s’agit plutôt d’une démo que l’annonceur souhaite transformer en « story » dans son déroulement, un peu comme la création de la vidéo de la sécurité sociale pour son CESU.

Quoi qu’il en soit, le plus triste est que des profils y répondent ! Sous l’annonce, on a 14 réponses de freelances, tous se vendant à qui mieux mieux.

Des rédacteurs (dont j’espère que la création de storytelling est le métier) sont prêts à brader leur temps, leur travail. Il faudra m’expliquer comment ils paient leurs charges. Mais peut-être sont-ils adeptes du jeûne en continu…

Plus sérieusement, le fait de participer à pousser les tarifs de plus en plus vers le bas, dessert le travail. Savent-ils qu’en acceptant de répondre à de telles offres, ils se décrédibilisent ? Et qu’ils se tirent surtout une balle dans le pied, atteignant du même coup notre profession (dégât colatéral).

Je comprends qu’ils aient besoin de travailler pour vivre (on est tous dans le même cas), mais l’on ne peut que déplorer le fait que ce système capitaliste et concurrentiel les pousse à accepter de travailler à ce tarif.

Je ne juge pas le fait qu’ils y répondent, mais celui ou celle qui s’y sera collé.e, aura passé a minima une journée (n’oubliez pas qu’il y a 2 histoires), incluant les propales, échanges de mails pour les allers-retours et éventuelles modifs par le client…
À moins qu’il ne s’agissât que d’un simple texte de démo de quelques lignes, ce en quoi je n’aurais rien compris à l’annonce.

Le donneur d’ordre est toutefois conscient que pour le tarif proposé, il n’attend pas (notez le « bien sûr ») de la qualité. Encore heureux ! Qualité ou pas, de toute façon, le rédacteur aura dû pondre un petit storytelling pour chacune des deux vidéos – si j’ai bien compris l’annonce. Ou alors deux versions de storytelling pour une seule vidéo ? Ou alors s’agit-il d’un simple texte pour une démo d’utilisation, mais façon storytelling ? Voire de quelques mots-clés distillés sur une animation ? Ou bien – rêvons un peu – l’annonceur aurait-il oublié un 0 au budget ?

Notons que l’annonce ne présente aucun détail pouvant justifier de se précipiter à accepter de « réaliser » deux histoires pour la modique somme de 100 euros.
Elle ne parle pas non plus de délai, or on imagine bien que ce n’est pas pour dans trois mois…

Mettons que le rédacteur choisi par le prescripteur passe une journée de 10h, pour 2 histoires (environ 5h chacune), échanges compris. 10h à 100 euros, (on ne sait pas si c’est HT ou TTC ici), nous obtenons donc 10 € de de l’heure sur cette mission de communication.

Je connais une femme de ménage qui prend 13 euros de l’heure juste pour passer l’aspiro ou laver des carreaux. Donc ne vendant rien de créatif, intellectuellement je veux dire, sans enjeu économique derrière. Question, ne serait-il pas plus rentable de changer de métier ?

Dans mon cas, je ne me vois pas rendre un travail bâclé. Donc l’affaire est pliée, on ne me verra jamais sur ce type d’annonce.
Savoir dire non pour se faire respecter est la moindre des choses !

un esclave est une personne asservie, qui travaille gratuitement sans compter ses heures.

 

Chers clients, vous voulez vendre votre produit ? C’est normal et légitime. Mais pour cela, vous avez besoin d’un bon message. Ne serait-ce que pour renvoyer une image positive.

Utiliser le fait de raconter une histoire (storytelling), comme outil marketing est sympathique. Toutefois, son usage systématique n’est pas forcément opportun. Tout dépend du contexte et de la finalité du message. Lire à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, essayons de voir ce que pourrait rendre un storytelling pour peanuts :

« Perlotin le petit lutin randonne en forêt quand soudain, alors qu’il traverse un vieux pont en bois, il tombe dans la rivière. Heureusement, ses amis qui le suivent ont l’application « s-eau-s » [j’invente] qui déclenche l’arrivée d’une bouée apportée par un drone, grâce à la géolocalisation. Ouf, Perlotin est sain et sauf. Avec S-eau-S, randonnez sans stress ! »

Quantifier la valeur d’un travail intellectuel

Travaillera-t-on bientôt gratuitement ? Ah mais, en fait, le système ne le permet pas. Pas encore. Alors mesdames et messieurs les prescripteurs, nous sommes bien conscients que la crise frappe tout le monde, que la concurrence est rude, que vous démarrez peut-être une activité avec les poches vides, que vous vous fichez de la qualité (pas nous, car nous savons l’impact d’un message sur une cible).

Rédiger un texte sous forme de storytelling,
ce n’est pas aller à la cueillette aux champignons !

Nous ne sommes pas des serpillères. En tout cas, nous sommes plusieurs à refuser de se plier à travailler pour une misère. La qualité de notre savoir-faire demande du temps et apporte de la valeur ajoutée. Particulièrement au niveau marketing, compte tenu de la concurrence des marchés.

Ce savoir-faire a un coût. Il ne vous viendrait pas à l’esprit de dire à un boulanger qui a passé la nuit à faire son pain « je souhaite acheter une de vos baguettes parce que vous êtes un vrai boulanger et que j’ai besoin de pain pour ce midi, mais je n’ai pas le budget, donc je vais vous payer cette baguette 10 centimes au lieu de 90 centimes.  »
J’aimerais voir la tête de l’artisan…

Heureusement, on lit aussi parfois des réponses à ce genre d’annonces de la part de freelances qui dénoncent le budget et refusent de cautionner ce type de travail sous-payé. Par exemple pour la création d’un site web, entre développeurs professionnels VS étudiants acceptant tout à moins de 17 euros de l’heure ou des forfaits au rabais (équivalant à une journée) pour la création d’un site nécessitant une semaine de travail.

Lire cet article sur les métiers du web.

Je l’ai vu également dans le domaine de la transcription. Il existe pourtant des règles commerciales, notamment de concurrence (tarifs du marché), mais visiblement beaucoup de gens s’assoient dessus.

Ce genre de situations touche malheureusement pas mal de métiers. Les graphistes freelance par exemple.

Pas de bras, pas de chocolat

Voici par ailleurs un triangle bien connu : Réactivité, Qualité, Bon marché.

Comme vous le savez, vous ne pouvez jamais avoir les trois côtés en même temps.

> Si le client veut des délais courts (réactivité) mais un rendu de qualité : cela peut éventuellement se faire, mais la note sera salée, et c’est normal, donc pas bon marché.

> Si le client veut des délais courts sans payer le prix (rapide et bon marché) : ben, peut-être, mais alors pour ce travail, le sous-traitant ne se donnera pas beaucoup de mal et il ne faudra pas venir vous plaindre du rendu.

> Si le client ne veut toujours pas mettre le prix, mais souhaite de la qualité en priorité : faut voir (si le projet est intéressant), mais alors, patience… ça se fera quand on aura le temps, vous ne serez pas prioritaires en termes de délai.

Bref, vous ne pouvez avoir que deux côté à la fois. Voir le triangle qualité-coût-délai.

Par expérience, la majorité des prescripteurs souhaitent un bon travail (qualité) et c’est tout à leur honneur, mais ils sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à chipoter sur les coûts. Combien de fois entend-on « je n’ai pas de budget ». (sic)

En fait, beaucoup seraient ravis qu’on leur fasse un super travail, si possible dans des délais raisonnables et surtout pour pas un rond. Bien sûr, chaque freelance est libre de s’écraser.

Le plus triste est qu’à force de faire jouer la concurrence, ils finissent toujours par trouver quelqu’un.e prêt.e à accepter n’importe quelles conditions. (L’annonce au début de ce billet d’humeur en est l’exemple type.)

Le low-cost en ligne est la peste de cette dernière décennie. (J’en ai parlé d’ailleurs en 2014, dans mon blog sur le contenu.)

Pour ma part, si je suis me inscrite (sur le tard) sur deux sites, histoire d’expérimenter la chose, je ne postule que : si l’annonce est de qualité, si le budget existe et est à la hauteur de la demande et si je suis la première sur le coup.

Autrement dit, ce type de plateformes où pullulent les missions « à pas cher », ne m’apporte pas grand-chose. La course à la compétition n’est pas ma tasse de thé, et par expérience – plus de vingt ans de métier – j’observe de toute façon que rien ne vaut le réseau et le bouche à oreille classiques.

Je refuse une forme d’esclavage qui engendre une paupérisation sur un fond de mépris des plus barbares. J’ai assez d’amour propre pour ne pas brader la qualité de mon travail. Je ne courre pas après le chiffre et préférant un travail accompli consciencieusement, avec plaisir, et dans des conditions relationnelles qualitatives avec le client.

La peur de passer à côté d’une mission ne joue pas dans la balance. D’ailleurs, il m’est arrivé de remporter des AO en étant plus cher qu’un concurrent, car à l’inverse, en face, le donneur d’ordre, dans le doute, a préféré jouer la qualité.

Pour terminer sur une note positive sinon joyeuse, il arrive de tomber sur des prestataires qui comprennent la valeur du travail qu’ils demandent et qui respectent le sous-traitant en reconnaissant la qualité et en acceptant de payer le juste prix. Merci à eux pour leur confiance.

Dans tous les cas de figure, un travail effectué par un professionnel dont c’est le métier, doit être rémunéré à sa juste valeur. Même pour du storytelling !

Images : Pixabay (revisitées).

 

3 réflexions sur “Du storytelling à pas cher ?

  1. Mister Wordpress avril 12, 2019 / 7:52

    À croire qu’aujourd’hui, à partir du moment où le job peut être commandé en ligne, et qu’il sera réalisé sur ordinateur, il faudrait que cela soit quasi gratuit. Malgré une armée de vidéos d’information sur les tarifs concrets, le budget confort, etc. Nous avons toujours des gens qui nous téléphonent pour nous crier dessus parce qu’on ne peut pas bosser pour eux pendant 2 semaines pour 500€. En attendant, ceux qui ont compris qu’un professionnel expérimenté, ça se paye… ben eux, ils avancent ! Merci d’avoir cité mon article, même si j’aurais préféré ne pas avoir à l’écrire celui-là 😉

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  2. Anne avril 12, 2019 / 8:27

    Hello Nicolas. Merci à toi pour ton blog et pour tout ce que tu dis dans tes articles. C’est tellement ça ! Chacun voit midi à sa porte comme je dis souvent. 🙂

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